mardi 4 septembre 2012

La liberté ne se mesure pas


J'ai remarqué que dans l'affaire d'El Abdeleya, quatre points revenaient à chaque fois et je cite:
Accepteraient-on de salir le drapeau Tunisien dans une œuvre d'art comme on accepte de salir l'Islam. 
La liberté d'expression a des limites.
L'œuvre qu'a présenté Nadia Jelassi ne concerne en aucun la société Tunisienne.
C'est de la provocation pas de l'art.

D'abord, parlons de cette relation drapeau/religion. 
Si le but de poser cette question est de demander clairement si on se considère d'abord comme Tunisien puis musulman ou au contraire comme musulman puis Tunisien alors il s'agit de lancer un long débat sur lequel on ne peut être d'accord car il s'agit de convictions personnelles. Personnellement je trouves que l'on est tous Tunisiens mais pas forcément tous musulmans et là pas la peine de parler de majorité et de minorité car même si la communauté juive ou chrétienne est minoritaire en Tunisie, ils n'en demeurent pas moins Tunisiens que les musulmans tout comme les irréligieux ne sont pas moins Tunisiens (patriotes) que les religieux.
Et puis je me suis toujours posée une question à ce sujet. Est-on vraiment et réellement musulman lorsqu'on ne l'est que par coutume ou héritage? La religion n'est certainement pas une maladie ou un caractère génétique mais elle se transmet.
Si la réponse à cette question est oui, nous sommes musulmans car nos parents le sont, nous le sommes par héritage alors je dirais que c'est hypocrite et très lâche de répondre ainsi et que nous n'avons certainement rien compris à la religion.
Si la réponse est non car la religion est conviction ou rien du tout alors nous devons impérativement revoir ces statistiques (si jamais elles existent) qui affirment que nous sommes majoritairement musulmans. Des statistiques, que, soit dit en passant, je trouve aberrant qu'elles existent. Mais ne nous écartons pas du sujet.
Si par contre, le but de la question (accepter de salir le drapeau dans une œuvre d'art) est de nous faire comprendre que nous n'allons pas accepter de toucher au drapeau comme d'autres n'accepteraient pas qu'on touche à l'islam et que chacun a son propre sacré. Alors je dirais que selon moi, on peut très bien utiliser le drapeau dans une œuvre en le salissant, le déchirant ou le brûlant si l'artiste le juge nécessaire car ça ne voudrait pas dire qu'il insulte le drapeau, qu'il n'aime pas son pays et que c'est un traître.

Ce qui nous amène à ce niveau à parler de liberté d'expression et de ses limites. Oui la liberté d'expression est limitée, contrairement à la liberté de croyance qui nous garantit une entière liberté de choisir une religion, de changer de religion ou de ne pas/plus avoir de religion ou la liberté de pensée qui nous garantit une liberté absolue d'avoir sa propre opinion sur tous les sujets.
Les limites de la liberté d'expression se trouvent là où on commencera à causer un tort matériel  ou psychique à une (ou plusieurs) personnes comme la diffamation, les insultes… Alors oui il doit y avoir des lois, mais des lois qui garantiraient la liberté d'expression mais en aucun cas qui l'étoufferaient jusqu'à l'élimination.
Parlons donc de notre affaire, El Abdeleya. Ces artistes qui ont exposé, ont-ils vraiment insulté la religion ou ont-ils simplement critiqué certaines pratiques instaurées par certains religieux. Ont il insulté la religion ou essayé tout bonnement de dire attention, la religion c'est leur arme pour vous emprisonner à nouveau? Franchement essayez d'être honnêtes avec vous-même avant de l'être avec les autres. Alors le sacré ici est il la religion ou le religieux?
Et puis, qui définit le sacré? Nous pouvons très bien être de la même religion et avoir les mêmes convictions sans pour autant avoir la même perception du sacré et de la sacralité. Certains disent que c'est les textes (religion) qui définissent le sacré mais là encore, il s'agit de lectures et d'interprétations faites par des personnes. Et dans ce sens, rappelons nous de l'affaire Dieudonné, cet humoriste qui a été jugé et condamné maintes fois pour antisémitisme et pourtant il n'avait fait que critiquer le sionisme et certaines pratiques de juifs, condamné et jugé comme nos artistes aujourd'hui pour atteinte au sacré.
Dans un cas comme dans l'autre, pour l'affaire Dieudo comme pour l'affaire El Abdeleya ça n'a aucun 
rapport avec la religion, c'était est c'est juste politique.


Certaines personnes ont également dit que ce qu'a fait Nadia Jelassi dans son œuvre dénonçant ainsi la
 lapidation dans les religions était gratuit et n'avait aucun rapport avec notre société. C'est vrai que pour le moment nous n'avons pas de lapidation en Tunisie (quoi que à ce rythme…) mais un artiste n'est il pas avant tout universel? Ne peut il pas être touché par d'autres maux que ceux de sa propre société? Et le plus important, lui aurait-on reproché ceci si son œuvre dénonçait les pratiques sionistes ou défendait la cause palestinienne? Et pourtant là encore il s'agit de maux qui ne touchent point notre société.

Maintenant parlons de la provocation dite "gratuite" de ces œuvres. A toutes les personnes qui utilisent cet argument je dis l'art est provocation. Un artiste a pour but au final de faire passer un message, d'exprimer une opinion, de lancer un débat et quel meilleur moyen y a t-il pour susciter l'intérêt et de raviver les sentiments (y compris celui de la colère) que la provocation? A toutes ces personnes, je dis êtes vous sûr de ne pas confondre provocation et insulte? Car l'art se veut provocateur. Et au risque de vous choquer l'art parfois se veut même insultant.

Alors chers concitoyens, si jamais vous voyez du mal dans une œuvre, sachez que c'est probablement une mauvaise interprétation et à ce moment là ça devient votre problème pas le notre. Nous ne sommes pas responsables des limites que vous avez choisi de vous fixer. Apprenez à ne plus être submergés par des sentiments, à réfléchir et à critiquer au lieu de juger les intentions et de gueuler. Apprenez à comprendre que même derrière la provocation, il y a une idée, un message et que ce n'est pas forcément méchant.

P.S: Je dédie cette note à Mohamed Ben Slama et à Nadia Jelassi. Nadia était un de mes enseignants, une personne que je respecte énormément. Je leur dédie cette note car aujourd'hui ils se font juger pour leur art. Je leur apporte mon soutien et je joins ma voix à la leur pour dire que la liberté ne se mesure 
pas. Jugez moi aussi car je pense comme eux.


4 commentaires:

  1. Je suis de ton avis sur la plupart des points soulevés. Ma remarque vient diagnostiquer le problème beaucoup plus en amont. Parler d'art à un peuple majoritairement inculte c'est comme tendre une amande à celui qui n'a pas de dents : il pourrait mourir de faim sans pouvoir la déguster et survivre.

    Il existe une "fracture culturelle" en Tunisie, entre une élite (minoritaire) très en avance et un reste du peuple (majoritaire) déjà pas mal en retard et conforté dans ce retard par une approche mondialisée et largement véhiculé à travers une pseudo-culture financée à coups de milliards de pétrodollars. Dans ce contexte je ne critique pas l'instinct de survie que peuvent avoir certains artistes mais plutôt leur éventuel extrémisme relatif alors que l'heure est plus au compromis: tenir le bâton par le milieu pour enclencher le débat et faire passer le message culturel d'une manière plus constructive.

    Celui qui devra faire le plus de concessions aujourd'hui (pour combler la fracture culturelle) c'est sans doute l'artiste (représentant de l'élite), partie supposée être la plus raisonnable dans l'équation. Il faudra qu'il gagne d'abord l'écoute de son vis-à-vis avant de lui proposer une alternative ...

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    1. merci pour ton intervention los-pistoleros-de-Tunez,

      ce que tu dis est vrai, c'est même très vrai, la preuve ce qui s'est passé juste avant le 23 octobre dernier avec le film Persepolis, un film extraordinaire quand on en saisit le sens mais qui a joué en la défaveur de la voie progressiste durant les élections...
      d'un autre côté, la théorie du choc en matraquant peut également apporter ses fruits et puis surtout je trouves que faire plus de concession pour satisfaire les uns et les autres nous amènera certainement à des résultats catastrophiques, la preuve, cette affaire, l'affaire sofiène chourabi et j'en passe... au final ras le bol de faire des concessions alors que de l'autre côté on nous fait passer pour le diable, quitte à être le diable autant bien faire les choses, nous serons rejeté longtemps mais sur le long terme je pense que c'est le chemin le plus sur pour effacer toutes les idée obscurantiste

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  2. Bravo chipie.

    "Dieu aima les oiseaux et inventa les arbres. L'homme aima les oiseaux et inventa les cages."
    [Jacques Deval]
    voila malheureusement.
    Merci chère amie pour cette note

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    1. Une citation qui résume si bien la situation :)
      Merci à toi Bacchus

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